Course au large, l’innovation toutes voiles dehors
Le Vendée Globe, au-delà d’écrire des histoires humaines qui tiennent les terriens en haleine, reste aussi une formidable vitrine des avancées technologiques à l’œuvre dans le monde maritime. L’édition 2020/21 sur laquelle le rideau s'apprêt à tomber a prouvé une fois encore que la compétition océanique est un vivier d’innovations. Mais les enjeux pour ce secteur de niche tourné vers l’excellence sont aujourd’hui de se diversifier pour conquérir d’autres marchés et répondre aux défis sociétaux. À commencer par celui de la transition énergétique et de la décarbonation face auquel son art d’utiliser et d’optimiser l’énergie du vent a tout le potentiel pour jouer un rôle moteur, en mer comme à terre.
Depuis le premier Vendée Globe, le tour du monde en solitaire sans escale et sans assistance repousse les limites de la performance sur les mers les plus lointaines. Avec la régularité d’un métronome, chaque édition apporte tous les quatre ans son lot d’innovations qui témoignent de la vitalité de cette filière d’excellence. Si cette année, les conditions météorologiques peu favorables aux excès de vitesse n’ont pas permis d’améliorer le temps de référence d’un peu plus de 74 jours établi en janvier 2017 que tout le monde s’attendait pourtant à voir battu, personne ne remet en cause les progrès réalisés ces dernières années par l’ensemble de cet écosystème atypique né de la rencontre de marins exigeants avec un tissu économique réactif.
Pour preuve : le plus faible niveau d’abandons jamais enregistré sur cette épreuve au long cours et l’intensité de la régate au terme de laquelle les leaders ont bien eu du mal à se départager. Au-delà de la fortune de mer vécue par Kevin Escoffier dont les raisons restent encore à élucider, les résultats sont là et parlent d’eux-mêmes. Le secteur a beaucoup gagné en fiabilité et les skippers sont parvenus pour la plupart, avec l’aide de leurs équipes mobilisées à terre qui rassemblent une grande diversité de métiers, à surmonter les épreuves et les défaillances techniques au meilleur niveau de compétition maritime, où les foils rivalisent avec les dessins de carènes, les voiles, les pilotes automatiques, l’électronique embarquée, ou encore l’analyse des prévisions météorologiques pour combiner performance et sécurité.
De l’artisanat de pointe aux industries high tech…
« La voile reste un sport mécanique qui a vu sa vitesse croître très fortement ces trente dernières années. On voit une explosion des résultats », témoigne Yann Penfornis, directeur général de Multiplast à Vannes, l’un des deux grands chantiers avec CDK à Lorient et Port-La Forêt, comptant au rang des références mondiales dans la construction de coursiers océaniques qui affolent les speedomètres. « Dans la course au large, on assiste à une explosion des résultats. Ce n’est pas uniquement lié aux progrès dans les matériaux composites. Tous les domaines du jeu se sont améliorés : les voiles, l’accastillage, les cordages, les connaissances météo, les moyens de communication, sans oublier le talent des skippers qui joue beaucoup. Tout ça mis bout-à- bout fait qu’on vit une époque fantastique qui permet de développer des belles machines, comme les monocoques IMOCA et les trimarans Ultim», ajoute-t-il.
L’ e-penon à tous vents
« La compétition telle qu’elle se pratique au large ou ailleurs oblige à chercher des idées neuves dans un objectif de performance. Un compétiteur est une machine à optimiser », souligne de son côté Michel Desjoyeaux pour justifier le rôle clé joué par la course au large à l’avant-garde de l’innovation. « En France, nous avons la chance d’avoir un modèle économique bien structuré autour de la course au large qui connaît un bel écho dans les médias et auprès du grand public qui est demandeur. La mer, que beaucoup de personnes connaissent mal, reste un univers fascinant et attractif. La force de cette discipline reste sa faculté à faire rêver ; et à ce titre, ce sport qui se distingue par sa dimension technologique dispose de moyens pour chercher et expérimenter. Tout cela génère un cercle vertueux qui tracte tout un écosystème », complète cette figure de la voile de compétition.
« Ce qui fait notre spécificité, notre marque de fabrique, c’est de ne pas nous arrêter aux catalogues de solutions existantes pour créer, imaginer, calculer, construire et mettre en œuvre de nouvelles idées. On est amené par notre démarche d’optimisation à utiliser notre expertise globale dans l’exploitation du vent pour d’autres projets, notamment ceux dans le domaine du commerce maritime », poursuit celui qui est investi à travers son bureau d’études dans l’ingénierie du gréement du projet Neoline qui ambitionne le lancement de cargos à voile taillés pour tendre vers l’émission zéro carbone, en réduisant entre 80 et 90% la consommation de fuel sur un trajet transatlantique.
Parmi les solutions qui font la marque de fabrique de Michel Desjoyeaux et de l’équipe d’ingénieurs réunie autour de lui, le penon électronique occupe une place à part. Cette invention, appelée Trimcontrol et brevetée par son écurie Mer Agitée depuis 2008, vient remplacer les traditionnels brins de laine ou de tissus utilisés sur les voiles par un ingénieux petit système doté d’un capteur de la taille d’un ongle permettant de connaître en continu l’écoulement du vent, de jour comme de nuit qu’elles que soient les conditions météorologiques. Et donc de mieux les régler, permettant ainsi à un bateau de compétition ou un super yacht de gagner en performance en navigation. Sa robustesse et sa capacité à s’adapter à tout type de profil aérodynamique en fait aussi un outil pertinent pour accroître le rendement de pâles d’éoliennes. Pas étonnant donc que cette innovation lauréate en 2016 des « Initiatives PME » de l’ADEME tourne aujourd’hui, au propre comme au figuré, sur les dispositifs développés par « EDF renouvelables » pour capter l’énergie propre et naturelle du vent. Ou que la compagnie maritime Wallenius Marine, qui développe un cargo révolutionnaire équipé de cinq ailes télescopiques et rétractables baptisé Oceanbird, s’intéresse de très près à cette technologie née dans l’univers bouillonnant de la course au large « made in » France…